lundi 17 février 2014

Lorsque Julien Dracq relate une promenade en Sologne dans "Lettrines" (recueil d'essais paru en 1967) il n'hésite pas écrire : "cette longue promenade de fin de journée sous le beau soleil jaune et oblique était à proprement parler délicieuse, et la vue, la plus approchée jusqu'ici que je connaisse des jardins d'Eden"

" Longues promenades à pied à travers la Sologne de Nouan, qui est comme un parc sauvage et varié où les allées de sable blanc gris s'enfoncent en toutes directions dans la parfaite solitude. Tous les aspects en sont ouverts et gracieux ; ici le bouleau domine, silhouette plus légère contre le ciel que celle d'aucun autre arbre, associé à des châtaigniers isolés, à la riche verdure jaune piquée de rosettes plus claires, à des sapinaies encore jeunes — çà et là un chêne de Ruysdaël étire très loin la tente sombre de ses branches basses — entre les troncs clairsemés la bruyère fleurit partout de violet un feutrage sec, une sorte de tapis-brosse roussi et flammé — les laies humides et vertes percées pour la chasse dans le taillis disparaissent sous le tremblé des fougères presque arborescentes. Par intervalles un champ de seigle ou de maïs s'arrondit comme un atoll battu par le ressac des plantes folles, chichement défendu contre le gibier par son rempart de treillis métallique et sa grand-garde d'épouvantails. Presque sous les pieds gicle de partout au coin des sentes le lourd giflement d'ailes du faisan, poussif et ronflant comme une motocyclette à l'allumage, le petit trot basculant et mécanique du lapin secoue et fait étinceler à travers l'herbe les menus derrières candides — l'écureuil flotte et se déroule de branche en branche comme un souple boa de plumes rousses, presque immatériel, le hérisson retourne du museau, avec lenteur et sagacité, le tapis de feuilles sèches. Chaque promenade — et le sentier méandreux vous déroute très vite, vous dévoie du monde habité — devient une merveilleuse escapade au royaume des fables, où l'on avance le cœur battant un peu au coin de chaque layon ; le passage de l'homme au milieu de la sauvagerie ne propage ici à très courte distance qu'une très faible onde d'alarme, vite refermée derrière lui comme un sillage dans la mer. Cette longue promenade de fin de journée sous le beau soleil jaune et oblique était à proprement parler délicieuse, et la vue, la plus approchée jusqu'ici que je connaisse des jardins d'Eden. Çà et là seulement, quand on longe une sapinaie, le froissement de mer du vent dans les branches ramène au sens du lointain et de l'étendue, de l'ailleurs, et un instant froisse au cœur le sentiment épanoui et protégé qu'on avait du jardin sauvage. Et plus encore, dans cette solitude aimable, y ramène le pin isolé, ramassant toujours autour de lui cette aura tragique et hargneuse qu'ont ressentie les poètes des chansons de geste — noir et immobile comme un homme qui guette, qui pressent et qui se souvient, au milieu de cette vie confuse et naïve.
Vers Marcilly, autre promenade le lendemain soir, cette fois dans la Sologne des étangs. Par instants, au milieu des taillis, des bois confus, des roselières, au fil de la route, une pelouse rase et soignée, un cottage de briques rouges, un pavillon de chasse tout blanc au fond de la ligne de barrières blanches d'une avenue, apparaissent, puis disparaissent aussitôt aussi rapidement qu'un rai de bleu dans un ciel de nuages. Seul le long cordon ombilical et coudé des chemins privés, qui débouchent entre deux poteaux couleur de chaux sur l'accotement, relie à la route les petits châteaux de chasse qui se tiennent très au large tapis sous les arbres, et se souviennent du hallier, du viandis et de la bauge: curieusement le chasseur ici a agencé son habitat sur le modèle du terrier; on ne voit de la route que son issue mesquine et couverte: deux ornières de sable gris séparées par une bande d'herbe, qui se perdent au premier coude derrière la fumée verte des bouleaux. Pays qui se referme et se pelotonne sur lui-même à la façon d'un ciel de nuages, et qui rend moins invraisemblable, à le visiter, l'équipée du Grand Meaulnes vers le château perdu: la lumière qui disparaît derrière les arbres, la bergère aperçue de loin dans une clairière, et sur laquelle les fourrés se referment avant qu'on ne l'atteigne. "
Dans "LETTRINES" de Julien DRACQ

mercredi 5 février 2014

" De corne en coin, ils traversèrent une pineraie de maritimes. Des coupes anciennes n'avaient laissé là que de beaux arbres espacés, entre lesquels jouait la lumière et flottait un air libre, baigné d' arômes. Raboliot aspirait les odeurs de la nuit, celle des pousses vertes, celle des essences légères que diffusait la sève, et celle des feuilles tombées qui feutraient l'humus gras; et il sentait passer, aussi, l'odeur des champignons soulevant du chapeau la jonchée des aiguilles, ... "
Dans "RABOLIOT" de Maurice GENEVOIX